L’article de Loïc Mpanjo publié le 15 avril 2025 sur Financial Afrik et intitulé « Le Cameroun au bord de la faillite financière » a suscité des réactions nombreuses et variées comme cette contre-analyse de Félicien Ndjock, Économiste, paru chez nos confères de « Défis Actuels » que nous reproduisons ici en intégralité afin d’enrichir le débat. In extenso.
Cameroun — Faillite imaginaire : quand l’alarmisme de Loïc Mpanjo prend le pas sur l’analyse économique
Il y a quelques semaines, une équipe du Fonds monétaire international (FMI), après plusieurs séances d’examen des finances publiques camerounaises, quittait Yaoundé satisfaite. Cemille Sankak, cheffe de mission, résumait ainsi cette appréciation : « La croissance économique s’est établie à 3,2 % en 2023 et devrait se redresser pour atteindre 3,9 % en 2024. L’inflation moyenne sur douze mois s’est établie à 4,6 % en novembre 2024, contre 7,5 % l’année dernière. Les résultats du programme sont globalement satisfaisants. Les perspectives budgétaires pour 2024 sont positives, avec un objectif de déficit primaire non pétrolier de 2 % du PIB, en amélioration par rapport aux 2,5 % du PIB de l’année dernière (et aux 3,9 % du PIB en 2022). »
Cette bonne tenue des finances publiques, dans un contexte mondial marqué par des crises multiformes, fait du Cameroun un cas emblématique de résilience. C’est ce que le conseil d’administration du FMI a d’ailleurs reconnu en validant les analyses positives de ses équipes.
Nous en étions là lorsque, sorti de nulle part, un certain Loïc Mpanjo Essembe a publié dans le Journal Financial Afrik une tribune au titre sensationnaliste : « Le Cameroun au bord de la faillite financière ». Cet article d’opinion, à la limite du diffamatoire, surprend d’autant plus qu’il contredit frontalement les analyses les plus récentes du FMI — une institution pourtant réputée pour sa rigueur, voire sa sévérité.
L’usage du pléonasme « faillite financière » dès le titre annonce le ton général : celui d’un texte plus soucieux de frapper les esprits pour sortir son auteur de l’anonymat, que de livrer une analyse économique rigoureuse. Rappelons qu’en économie publique, la notion de « faillite » est inappropriée pour un État souverain, qui ne peut être mis en liquidation comme une entreprise.
Une avalanche d’épithètes anxiogènes
L’article mensonger à prétention scientifique est un chapelet d’épithètes choisis à dessein pour incliner le lecteur vers une perspective négative. Le choix des mots est clairement orienté pour susciter l’inquiétude, voire l’indignation. Un florilège : « Spirale de l’endettement définitivement incontrôlable », « Trésorerie exsangue », « Explosion alarmante de l’endettement », « Masse salariale hypertrophiée », « Politique myope », « Assiette fiscale catastrophiquement réduite », « Équation financière insoluble », « Service de la dette asphyxiant », on en passe et des meilleures. Cette accumulation d’une trentaine d’épithètes anxiogènes renforce la perception d’un discours polémique plutôt que rigoureusement analytique. Plus proche du discours militant que de l’analyse technique, l’auteur emploie tout au long de l’article un vocabulaire dramatique, évoquant une situation apocalyptique qui n’existe que dans son imagination. Le champ lexical de M. Mpanjo ne sert donc pas une démonstration objective, mais cherche à susciter la peur et l’indignation, quitte à tordre le cou à la vérité ou à ruser avec les chiffres.
Comparaisons faussées, chiffres manipulés
L’un des biais les plus notables du texte concerne la comparaison entre le niveau d’endettement de 2007 (12,2 % du PIB) et celui de 2023 (46,3 %). L’auteur passe sous silence un fait fondamental : en 2007, le Cameroun venait de bénéficier de l’Initiative PPTE et de l’Initiative d’Allègement de la Dette Multilatérale (IADM), qui avaient entraîné un effacement significatif de la dette. Il est donc intellectuellement malhonnête de comparer ces deux périodes sans rappeler ce contexte exceptionnel. En outre, le FMI, dans ses dernières évaluations, continue de qualifier la dette camerounaise de « soutenable », idem pour les agence de notation telles que Standard & Poors, d’autant plus que le ratio dette/PIB du Cameroun (43 %) est très loin du seuil critique de surendettement de 70% fixé par les institutions financières internationale. D’ailleurs une récente étude de la Banque Mondiale classe le Cameroun parmi les pays les moins endettés d’Afrique.
Autre manipulation : la masse salariale de l’État est présentée comme représentant 42,7 % des recettes fiscales, ce qui est faux car ce chiffre de M. Mpanjo omet les recettes douanières (fiscalité de porte). Or, si l’on considère correctement les recettes fiscales globales (impôts + douane), ce ratio tombe à 36,3 %. Par ailleurs, l’article cite à tort un niveau de recettes internes de 3 745 milliards FCFA, ce qui est largement inférieur aux prévisions contenues dans la Loi de finances 2025, qui table sur plus de 5 500 milliards FCFA de recettes internes ordinaires. L’auteur en déduit un déficit structurel fictif, amplifié artificiellement.
Si le diagnostic sur l’étroitesse de la base fiscale est en partie vrai, l’analyse de M. Mpanjo enjambe les progrès tangibles pour verser dans la diatribe improductive. Car le gouvernement mène depuis plusieurs années une vaste réforme visant à élargir cette assiette fiscale. Parmi les mesures figurent le croisement des fichiers fiscaux, la digitalisation des procédures, mais aussi des initiatives innovantes comme l’obligation pour les demandeurs de visa de justifier de leur situation fiscale.
Quant au secteur informel, qui représente plus de 60 % de l’économie, il s’agit d’un défi commun à de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, et non d’une « anomalie camerounaise ». L’auteur feint d’ignorer que le Cameroun, justement, travaille à la formalisation progressive de ce secteur.
Des réalités ignorées ou déformées
Le texte ne dit mot de l’impact budgétaire du conflit dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest (NOSO), ni des ravages du groupe terroriste Boko Haram dans l’Extrême Nord, un situation sécuritaire délétère qui pèse lourdement sur les finances publiques et les investissements. Il oublie également que le Cameroun a évité la récession au plus fort de la pandémie de Covid-19, là où de nombreuses économies comparables ont vu leur PIB chuter brutalement.
Si ces omissions volontaires traduisent clairement la mauvaise foi de l’auteur, les allusions hérétiques et hasardeuses, elles, montrent davantage une navrante faiblesse dans l’analyse. Un exemple frappant : Selon M. Mpanjo, « La chute prolongée des cours du pétrole et le déclin de la production nationale ont provoqué un effondrement des revenus pétroliers, autrefois pilier des finances publiques camerounaises. Cette manne financière, qui représentait 24,8% des recettes budgétaires en 2014, s’est réduite à seulement 9,6% en 2023 selon les chiffres de la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH) , exposant cruellement l’incapacité́ structurelle du pays à mobiliser des ressources alternatives ». Ici encore, M. Mpanjo se trompe lourdement. Car si la part du pétrole dans les recettes budgétaires a chuté, c’est bien parce que la part des recettes non pétrolières a augmenté de manière remarquable. C’est la preuve que les pouvoirs publics ont inlassablement mais surtout efficacement œuvré à mobiliser les recettes non pétrolières, des ressources alternatives pour lui emprunter l’expression. La baisse des recettes pétrolières, présentée comme un symptôme de « faillite », est due au déclin structurel de la production nationale, un phénomène géologique plus qu’une défaillance politique. L’auteur omet totalement de reconnaitre que le Cameroun a su diversifier ses sources de revenus, pourtant, l’émergence du secteur minier et l’accroissement des revenus hors hydrocarbures en témoignent amplement.
A travers cet article nous ne voulons pas nier les défis budgétaires auxquels le Cameroun est confronté comme quasiment tous les pays du monde. Mais en présentant une lecture sélective, approximative et globalement erronée des chiffres, l’article de Loic MPANJO ESSEMBE donne une vision exagérément noire d’une situation budgétaire qui, si elle n’est pas paradisiaque, est loin d’être chaotique. La crédibilité d’une analyse repose sur l’objectivité, la rigueur des sources et la prise en compte de tous les éléments du contexte. À cet égard, l’article de Loïc Mpanjo Essembe est l’exemple parfait de ce qu’il ne faut pas faire.
Félicien Ndjock, Économiste
(Source l’édition N° 956 du magazine Bihebdomadaire Défis Actuels)