Le marché africain de la gestion d’actifs enregistre une croissance significative, soutenue par une demande accrue de diversification des portefeuilles et une prise de conscience progressive des bénéfices liés à l’épargne de long terme. Cette évolution, perceptible à travers la hausse des encours sous gestion dans plusieurs régions du continent, témoigne d’une structuration progressive du secteur. Franck Olivier Diagou, Directeur Général de NSIA Asset Management, nous livre son analyse dans cet entretien paru dans le mensuel Financial Afrik numéro 119.
Quel est l’état actuel du marché de l’Asset Management en Afrique ? Quelles sont les spécificités entre l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique de l’Est ?
Le marché de la gestion d’actifs en Afrique est en pleine expansion, porté par une demande croissante de diversification des investissements et une meilleure prise de conscience des avantages de l’épargne à long terme. Cette dynamique se reflète dans la progression des encours sous gestion dans plusieurs régions du continent.
•Au Maroc, le secteur a connu une croissance de 28,76 % entre 2018 et 2023, avec un encours passant de 434,79 milliards de dirhams à 559,83 milliards de dirhams. (NDLR: soit 56 milliards de dollars américains)
•Dans la zone CEMAC, le marché a enregistré une progression impressionnante de 441,74 % entre 2020 et 2023, atteignant 636 milliards de FCFA (NDLR : 1,1 milliard de dollars) , contre 117,4 milliards de FCFA trois ans plus tôt.
•Dans l’UMOA, les encours sous gestion ont plus que doublé entre 2017 et 2023, passant de 700 milliards de FCFA à 1 480 milliards de FCFA (NDLR: 2,6 milliards de dollars), soit une hausse de 111,43 %. Cette croissance est soutenue par plusieurs facteurs, notamment une meilleure structuration des marchés financiers, une réglementation plus favorable et une montée en puissance des investisseurs institutionnels. Toutefois, le marché reste marqué par des niveaux de maturité variables selon les régions.
•L’Afrique de l’Ouest, bénéficiant d’un cadre réglementaire harmonisé au sein de l’UEMOA, voit son marché se structurer avec des acteurs bien établis et un dynamisme porté par l’épargne institutionnelle et un marché obligataire actif.
•L’Afrique de l’Est, en revanche, se distingue par une adoption rapide des innovations technologiques, notamment dans les services financiers numériques. Son marché est plus fragmenté, avec des réglementations hétérogènes selon les pays, mais profite d’une modernisation progressive des infrastructures financières.
Ainsi, malgré des disparités régionales, la gestion d’actifs en Afrique affiche une trajectoire ascendante, renforcée par des évolutions structurelles et une demande croissante pour des solutions d’investissement adaptées aux besoins locaux.
Quels sont les principaux moteurs de développement de l’Asset Management sur le continent ? Ressentez-vous l’impact de la montée en force des classes moyennes ?
Plusieurs facteurs contribuent au développement du secteur de la gestion d’actifs en Afrique :
• Une meilleure compréhension du rôle des gestionnaires d’actifs par les institutionnels : De plus en plus d’institutions financières, de caisses de retraite et d’assureurs prennent conscience de l’importance de la gestion d’actifs pour optimiser la performance de leurs portefeuilles. Cette évolution favorise la délégation de la gestion à des professionnels, augmentant ainsi les encours sous gestion et stimulant le développement du secteur.
• L’urbanisation et l’augmentation des revenus : la croissance économique et l’urbanisation favorisent l’accumulation de capitaux, créant ainsi une base d’investisseurs plus large.
•L’essor d’une classe moyenne plus consciente de la gestion de son épargne : avec l’augmentation des revenus et une meilleure stabilité économique dans plusieurs pays, une nouvelle classe moyenne émerge, plus sensibilisée aux enjeux de l’épargne et de l’investissement. De plus en plus d’individus cherchent à optimiser leur épargne non seulement pour sécuriser leur avenir, mais aussi pour financer des projets personnels tels que l’acquisition immobilière, l’éducation des enfants ou la préparation de la retraite. Cette évolution stimule la demande pour des produits de gestion d’actifs accessibles et performants.
•Le développement des marchés financiers : la structuration progressive des places boursières et des marchés obligataires ne se limite plus seulement à offrir des opportunités d’investissement. On observe également une diversification des instruments financiers, avec l’émergence de produits de gestion de risques ou encore des solutions de couverture adaptées aux besoins des investisseurs. Cette sophistication croissante permet une meilleure allocation des capitaux et renforce l’attractivité du marché.
•Le développement des partenariats entre les assureurs et les sociétés de gestion d’actifs : Face à la baisse de rentabilité des produits d’assurance traditionnels, de plus en plus d’assureurs s’associent aux asset managers pour proposer des solutions d’investissement plus attractives. Ces collaborations permettent d’intégrer des fonds communs de placement dans leurs offres, offrant ainsi des rendements potentiels plus intéressants aux épargnants.
• L’innovation technologique : la digitalisation facilite l’accès aux produits de placement, notamment via les applications mobiles et les plateformes en ligne. Elle favorise également une meilleure inclusion financière en rendant les solutions d’investissement accessibles à une population plus large, y compris celles qui étaient auparavant exclues des circuits financiers traditionnels. Grâce à ces innovations, il est désormais possible d’épargner et d’investir avec des montants réduits, ce qui démocratise encore davantage la gestion d’actifs en Afrique. L’émergence d’une classe moyenne plus éduquée et plus connectée renforce la demande pour des produits d’épargne et d’investissement adaptés, avec une volonté croissante de planification financière sur le long terme.
Quels obstacles freinent encore l’expansion du secteur ?
Malgré son potentiel, le secteur de l’asset management en Afrique fait face à plusieurs défis :
• Un manque de culture financière : l’éducation financière reste limitée, ce qui freine l’adoption des produits d’investissement par une large partie de la population.
• Des infrastructures financières encore en développement : certaines zones manquent de systèmes robustes pour faciliter les transactions et la gestion des actifs.
• Une réglementation parfois contraignante : bien que des progrès aient été faits, certaines régulations peuvent ralentir l’innovation et rendre l’accès au marché plus complexe.
• Une préférence pour les placements informels : de nombreux Africains privilégient encore des formes d’épargne traditionnelles, perçues comme plus sécurisées et accessibles.
Comment les Fintechs et les plateformes digitales transforment-elles l’Asset Management en Afrique ?
Les Fintechs jouent un rôle majeur dans la transformation du secteur en démocratisant l’accès aux produits d’investissement. Grâce aux nouvelles technologies, il est désormais possible d’ouvrir un compte d’investissement, de souscrire à des fonds et de suivre ses placements directement depuis un smartphone, sans passer par les circuits traditionnels. NSIA Asset Management s’inscrit pleinement dans cette dynamique avec NSIA INVEST, une application mobile qui permet aux investisseurs d’accéder facilement aux Fonds Communs de Placement. Elle simplifie le processus de souscription, offre un suivi en temps réel des investissements et permet une gestion fluide de l’épargne. Nous nouons également des partenariats avec des fintechs comme DJAMO, qui au travers de leurs plateformes commercialisent nos FCP. Ces plateformes permettent également d’automatiser les processus de souscription et de gestion, réduisant ainsi les coûts et rendant les produits d’investissement plus accessibles. Par ailleurs, elles favorisent l’émergence de nouvelles solutions adaptées aux besoins locaux, comme les micro-investissements et l’épargne à faible montant.
Comment évaluez-vous l’évolution du cadre réglementaire africain en matière de gestion d’actifs ? Quelles améliorations sont nécessaires ?
Le cadre réglementaire en Afrique s’aligne de plus en plus sur les normes en vigueur dans les marchés occidentaux, avec des exigences accrues en matière de transparence, de gestion des risques et de protection des investisseurs. Cette évolution renforce la confiance des épargnants et des investisseurs institutionnels, attirant ainsi davantage de capitaux vers les solutions de gestion d’actifs locales. Cependant, certaines améliorations restent nécessaires :
• Uniformiser les régulations au niveau continental pour faciliter l’expansion des sociétés de gestion d’un pays à l’autre.
• Encourager l’innovation en adaptant les réglementations aux nouveaux acteurs comme les Fintechs, tout en protégeant les investisseurs.
• Renforcer les contrôles et la transparence pour éviter les pratiques frauduleuses et améliorer la crédibilité du secteur.
Comment les sociétés locales rivalisent-elles avec les gestionnaires d’actifs étrangers?
Contrairement à une concurrence frontale, les gestionnaires d’actifs locaux captent l’essentiel des investissements institutionnels, qui privilégient les acteurs nationaux pour la gestion de leurs portefeuilles. Les sociétés étrangères interviennent davantage sur des segments spécifiques ou à travers des partenariats stratégiques.
Cette dynamique s’explique par plusieurs atouts des gestionnaires locaux :
• Une meilleure connaissance des marchés locaux : Les sociétés locales comprennent les spécificités économiques et culturelles des investisseurs africains et peuvent concevoir des produits mieux adaptés.
• Une plus grande flexibilité : Elles s’adaptent rapidement aux évolutions du marché et aux attentes des clients. •
Un réseau de proximité : Elles bénéficient d’une relation de confiance avec les épargnants et les institutions locales, ce qui leur permet d’avoir un ancrage plus fort sur le marché.
Pour rester compétitives, les sociétés locales doivent néanmoins continuer à innover, notamment en développant des solutions digitales et en renforçant la qualité du service client.