Par Denis NZIFACK, Analyste économique et Gérant taux et Franky BUNANG, Directeur de la Gestion.
Le 12 avril 2024, le Gabon a élu son nouveau président, Brice Clotaire Oligui Nguema, avec un score historique de 94,85 %. Ce plébiscite marque le début d’un ambitieux projet de société centré sur la modernisation du pays. Toutefois, cette volonté de transformation se confronte à des réalités financières complexes, dans un contexte international marqué par la volatilité des marchés pétroliers et le durcissement des conditions de crédit.
Le nouveau pouvoir a présenté un programme économique prévoyant des investissements publics annuels de 1 000 milliards de FCFA (soit 7 000 milliards sur le septennat), avec une priorité accordée aux infrastructures, à la santé, à l’éducation et à l’agriculture. Le plan inclut également un renforcement de la souveraineté énergétique, visant une production de 85 000 barils par jour.
Cette stratégie ambitieuse repose sur un financement à 75% par emprunt, ce qui soulève d’importants défis de soutenabilité. En 2023, la dette gabonaise atteignait déjà 7 000 milliards FCFA (70,5% du PIB), avec un service de la dette absorbant 32,1% des recettes budgétaires. Le nouveau programme nécessitera 5 250 milliards FCFA d’emprunts supplémentaires. Cette perspective d’émission massive intervient dans un contexte où le volume des émissions obligataires de l’État gabonais devrait augmenter de 14,5% entre 2024 et 2025 sur le marché régional. Une tendance qui pourrait même s’accélérer dans les prochaines années, alourdissant davantage la pression sur les finances publiques.
Les conditions d’emprunt se durcissent, avec une augmentation de 68 points de base du coût moyen (passant de 7,22 % à 7,90 % entre février 2023 et 2025) et une dette obligataire en progression de 21 %. La situation s’est aggravée après deux dégradations souveraines par Moody’s et Fitch, suite au rapport du FMI révélant une dette « cachée », ainsi qu’un défaut de 17 milliards de FCFA auprès de la Banque mondiale en janvier 2025.
Les projections à moyen terme (2025-2028) dressent un tableau contrasté. Bien que le ratio dette/PIB reste maîtrisé (55-60 %, en dessous du seuil CEMAC de 70 %), le service de la dette demeure préoccupant (20-21 % des recettes). Par ailleurs, le Gabon affiche une exposition accrue au marché CEMAC (30,8 % du PIB contre 11 % en moyenne régionale)selon les données de la BEAC.
Le Gabon se trouve à une phase déterminante pour les marchés financiers de la CEMAC. Son vaste programme de développement, soutenu par d’importantes émissions obligataires, pourrait dynamiser le marché régional en stimulant son activité et en améliorant sa liquidité. Si la faible profondeur du marché, encore dominé à près de 80 % par les banques et établissements de crédit, représente un défi à court terme, elle ouvre aussi une opportunité inédite de diversifier et de faire mûrir les instruments financiers régionaux. La crédibilité maintenue du pays, combinée à l’assouplissement monétaire de la BEAC, crée un environnement propice pour faire de cette transition économique un accélérateur de croissance, renforçant durablement les capacités de financement de toute la zone CEMAC.
La réussite de cette stratégie reposera sur trois leviers majeurs pour les marchés régionaux : la capacité du Gabon à attirer de nouveaux investisseurs tout en préservant la liquidité, l’évolution des cours pétroliers comme garant de sa solvabilité, et une discipline budgétaire propre à rassurer les acteurs économiques. Cette période constitue ainsi une réelle opportunité pour le Gabon de jouer un rôle moteur dans l’essor des marchés financiers de la CEMAC, en tirant profit de sa position stratégique pour impulser une dynamique positive à l’échelle régionale.