Par LOIC MPANJO ESSEMBE, Managing Partner MEL INVESTMENT BANKING
L’essor des PME en Afrique subsaharienne représente une réponse face à l’impératif de création de croissance économique. Chaque année, environ 10 à 12 millions de jeunes diplômés arrivent sur le marché du travail africain, et les gouvernements ne peuvent à eux seuls absorber cette demande croissante d’emplois qualifiés (Banque Africaine de Développement, 2023). Dans ce contexte, la création d’activités pérennes s’avère indispensable pour stimuler la croissance économique par des flux croissants de revenus.
Les PME représentent environ 90% des entreprises en Afrique subsaharienne et contribuent à près de 60% de l’emploi formel, tout en générant entre 40% et 50% du PIB selon les pays (Banque Mondiale, 2024). Pourtant, le déficit de financement des PME africaines est estimé à plus de 331 milliards de dollars (FMI, 2023), entravant considérablement leur développement.
Le paysage entrepreneurial africain est aujourd’hui dominé par trois catégories d’acteurs économiques majeurs : les entreprises issues d’investissements directs étrangers, les entreprises publiques, et quelques PME africaines qui évoluent progressivement vers le statut de grands groupes. Pour accélérer cette dernière catégorie et soutenir le développement du tissu économique local, il est crucial d’adresser la problématique du financement des PME.
Le financement, défini comme l’apport de ressources externes destinées à développer l’activité entrepreneuriale dans l’objectif d’augmenter ses revenus, constitue souvent le principal frein à la croissance des PME africaines. Selon une étude de la Société Financière Internationale (2023), plus de 70% des PME en Afrique subsaharienne citent l’accès au financement comme leur principal obstacle à la croissance. Pour optimiser les capacités d’une PME à attirer ces financements, trois axes stratégiques se dégagent :
1. La structuration financière – qui débute dès la création de l’entreprise avec un niveau adéquat de fonds propres ou de capital social.
2. La structuration organique – impliquant une répartition efficiente des ressources humaines pour dépersonnifier et déconcentrer la gestion.
3. La structuration stratégique – permettant d’assurer le développement rentable des revenus.
I. La structuration financière : fondement de la bancabilité des PME
A. Capitalisation initiale adéquate
L’importance d’un capital social substantiel
Dès la création de l’entreprise, le promoteur doit souscrire à un niveau de ressources propres important capable d’assurer si possible une année de fonctionnement sans revenus, le temps de faire décoller l’activité et de s’assurer un minimum de stabilité, en termes de charges et obligations financières. Les premières dépenses de l’entreprise doivent provenir du capital social de démarrage et générer des actifs au bilan (matériel de bureau, technologie, brevet, contrats, etc.).
Le niveau de fonds propres est un élément essentiel que les institutions financières prennent en compte pour calculer la capacité d’endettement de l’entreprise. Le ratio dette/fonds propres reste un indicateur fondamental d’analyse du risque pour les banques. En Afrique subsaharienne, les banques exigent généralement un ratio dette/fonds propres ne dépassant pas 2:1, contre 3:1 ou 4:1 dans les économies plus développées (OCDE, 2023).
Des études montrent que les PME africaines démarrent généralement avec un capital social moyen représentant seulement 23% des besoins réels de financement initial, contre 47% dans les économies émergentes d’Asie (McKinsey & Company, 2023). Cette sous-capitalisation initiale limite considérablement leur capacité future à mobiliser des financements externes.
De nombreux entrepreneurs en Afrique subsaharienne se lancent avec un capital social minimal pour des raisons fiscales ou de simplicité administrative. Bien qu’ils déploient souvent des ressources supplémentaires par la suite, ils négligent de procéder à une ventilation formelle dans le capital. Cette pratique réduit considérablement la capacité de l’entreprise à s’endetter auprès des institutions financières formelles.
Selon la Banque Africaine de Développement (2024), les PME africaines qui démarrent avec un capital social représentant au moins 35% de leurs besoins de financement total ont 2,5 fois plus de chances d’obtenir un financement bancaire dans les trois premières années d’activité.
II. La structuration organique : clé de réduction du risque opérationnel
A. Décentralisation du pouvoir décisionnel
Répartition stratégique des rôles et responsabilités
Au-delà du fondateur, la PME doit démontrer une ventilation claire des ressources humaines stratégiques, avec une définition précise des rôles et responsabilités au sein de l’organisation. L’entreprise doit prouver que la vision n’est pas seulement portée par le fondateur mais qu’elle est partagée et comprise par l’équipe dirigeante.
Les financiers craignent particulièrement la concentration du risque opérationnel autour d’une seule personne, généralement le fondateur, ce qui représente une vulnérabilité majeure. Une étude menée par Deloitte (2023) révèle que 78% des PME africaines qui ont échoué dans leurs demandes de financement présentaient une forte concentration du pouvoir décisionnel, contre seulement 31% pour les PME ayant réussi à obtenir des financements.
Il est nécessaire dès le départ et progressivement de formaliser des procédures :
• Élaboration de manuels de procédures couvrant les principales activités
• Systèmes permettant la continuité des opérations en cas d’indisponibilité du promoteur
• Documentation des processus clés et des méthodes de travail
Les données de la Société Financière Internationale (2023) montrent que les PME disposant de procédures formalisées et d’une équipe de direction structurée obtiennent en moyenne 43% de financement supplémentaire par rapport à leurs homologues dont la gouvernance repose principalement sur le fondateur.
Distinction entre l’entreprise et l’entrepreneur
De nombreuses banques gèrent encore les PME comme de simples professionnels, assimilant l’entreprise à son dirigeant. Une organisation bien structurée permet de sortir de ce paradigme et d’être traitée comme une véritable institution. La PricewaterhouseCoopers (2024) a constaté que les PME africaines ayant mis en place un conseil d’administration fonctionnel, même informel, ont 62% plus de chances d’obtenir un financement bancaire que celles dirigées par un entrepreneur unique.
La structuration organique est un élément important pour une PME africaine, elle constitue un levier puissant pour réduire la perception du risque par les financiers. En démontrant que l’entreprise repose sur des fondations solides plutôt que sur les épaules d’un seul individu, la PME augmente considérablement sa capacité à obtenir des financements.
III. La structuration stratégique : catalyseur de la valeur financière de l’entreprise
Documentation rigoureuse du modèle de création de valeur et transparence financière : les boussoles !
L’entreprise doit documenter de façon exhaustive son modèle économique et financier, avec une planification claire des étapes de développement. La démonstration précise des mécanismes par lesquels l’entreprise crée, capture et distribue la valeur est fondamentale.
Selon une étude d’Ernst & Young (2023), 67% des investisseurs en capital-risque en Afrique citent la qualité du business plan et la cohérence de la stratégie comme facteurs déterminants dans leurs décisions d’investissement. Les PME disposant d’états financiers audités ont 4 fois plus de chances d’obtenir un prêt bancaire que celles présentant des données financières non certifiées (KPMG, 2023).
Le plan doit établir des liens explicites entre les objectifs stratégiques et les opérations quotidiennes, montrant une vision intégrée et cohérente. C’est à ce stade que la transparence financière passe automatiquement par la certification des comptes de l’entreprise.
Au-delà du crédit bancaire, la structuration stratégique ouvre la voie à des financements en fonds propres diversifiés. Une stratégie bien documentée et des flux de revenus constants, croissants et documentés, positionnent la PME comme cible de choix pour les fonds de private equity. En 2023, les investissements en capital-risque en Afrique ont atteint 5,4 milliards de dollars, mais ont bénéficié à seulement 2% des PME du continent (Africa Private Equity and Venture Capital Association, 2024).
Une PME stratégiquement structurée devient proactive dans la recherche de financement avec une vraie capacité à choisir les investisseurs alignés avec la vision de l’entreprise et peut davantage influencer les termes et conditions des financements en optimisant sa valeur.
En articulant clairement sa vision, ses avantages compétitifs, ses mécanismes de création de valeur et ses résultats financiers, l’entreprise démontre sa capacité à générer des rendements durables sur investissement. Cette dimension est particulièrement valorisée par les investisseurs en capital qui recherchent non seulement des garanties mais surtout un potentiel de croissance et de valorisation.
Dans le contexte africain, où les opportunités de marché sont importantes mais souvent perçues comme risquées par les investisseurs, une structuration stratégique rigoureuse devient un différenciateur majeur. Elle transforme la PME, qui passe du statut d’emprunteur à celui de véhicule d’investissement attractif. Cette évolution lui permet progressivement de fixer ses propres règles d’engagement avec les pourvoyeurs de capitaux, renforçant ainsi son autonomie financière et sa capacité à poursuivre une vision authentiquement ancrée dans les réalités locales.
Conclusion
L’équation du financement des PME en Afrique subsaharienne repose sur l’interaction équilibrée de trois structurations complémentaires. Une PME solidement structurée sur les plans financier, organique et stratégique réduit considérablement la perception du risque par les financeurs et facilite l’accès aux ressources nécessaires à sa croissance.
Ces trois dimensions agissent comme un cercle vertueux : une meilleure structuration augmente la valeur perçue de l’entreprise, générant davantage de rentabilité et attirant des financements à des conditions plus avantageuses. Cette dynamique permet à l’entreprise de sortir progressivement du sous-financement chronique pour accéder à des capitaux plus abondants et moins coûteux.
Dans le contexte africain, marqué par d’immenses opportunités et des défis structurels, cette approche représente non seulement un avantage compétitif pour les PME individuelles, mais aussi un moteur de transformation économique à l’échelle continentale. Son adoption par l’ensemble des acteurs de l’écosystème entrepreneurial peut libérer le potentiel des PME comme véritables catalyseurs du développement économique africain.
Sources bibliographiques
1. Banque Africaine de Développement (2023). « Perspectives économiques en Afrique 2023 ».
2. Banque Africaine de Développement (2024). « Rapport sur le financement des PME en Afrique ».
3. Banque Mondiale (2024). « Doing Business en Afrique subsaharienne : Focus sur le financement des PME ».
4. Deloitte (2023). « Les facteurs clés de succès pour le financement des PME africaines ».
5. Ernst & Young (2023). « Baromètre du capital-risque en Afrique ».
6. FMI (2023). « Perspectives économiques régionales : Afrique subsaharienne ».
7. KPMG (2023). « Étude sur la transparence financière des PME africaines ».
8. McKinsey & Company (2023). « Accélérer la croissance des PME en Afrique ».
9. OCDE (2023). « Financement des PME et des entrepreneurs : Tableau de bord ».
10. PricewaterhouseCoopers (2024). « La gouvernance des PME africaines : impact sur l’accès au financement ».
11. Société Financière Internationale (2023). « Combler le déficit de financement des PME en Afrique ».
12. Africa Private Equity and Venture Capital Association (2024). « Rapport annuel sur les investissements en capital-risque en Afrique ».