Titulaire d’un DESS en gestion de projets de l’Université de Rennes 1 en France, Magaye Gaye a exercé pendant une quinzaine d’années dans les organisations sous- régionales africaines de financement du développement (BOAD et FAGACE) à des niveaux stratégiques élevés. Dans cette tribune, le cadre sénégalais, auteur de l’essai, intitulé « Afrique, abandonner les solutions occidentales et repenser le développement autrement» réagit aux révélations sur le rapport de la Banque Mondiale et appelle à diligenter un audit indépendant de l’institution mère des organes de Bretton Wood.
La Banque mondiale devrait au regard de ce constat alarmant, engageant probablement sa responsabilité, prendre à très court terme l’engagement de récupérer ces deniers perdus, les restituer aux pays concernés voire les déduire de l’encours restant dû par ces derniers
Il ressort des résultats d’une étude commanditée par la Banque Mondiale qu’en moyenne 7,5% des décaissements de l’Institution au profit des pays en voie de développement sont détournés vers des paradis fiscaux comme la Suisse, le Luxembourg, et Singapour. Ce constat de transferts illégaux de capitaux du Continent africain vers les Paradis fiscaux n’est pas nouveau dans la mesure où l’Union Africaine avait déjà donné l’alerte suite aux conclusions d’un Groupe de travail conduit par l’ancien Président sud-Africain, Thabo Mbeki , qui avait estimé dans un rapport publié en 2015 à au moins 50 milliards de dollars les pertes annuelles subies par le Continent du fait des transactions illégales. Il est à rappeler que l’OCDE estimait à près de 100 milliards de dollars l’aide publique au développement en 2016. Les conséquences économiques et sociales de la corruption sont réelles.
En plus de l’Union Africaine évoquée ci-haut, la Commission Economique des Nations Unies pour l’Afrique évaluait les pertes annuelles subies par le continent à environ 148 milliards, soit une moins-value en termes de croissance de l’ordre de 25 % du PIB. La corruption se manifeste de plusieurs façons : exportateurs rapatriant une infime partie des recettes d’exportation, le reste étant comptabilisé dans des sociétés écrans situées dans les pays d’exportation, surfacturation de marchés publics, versement de commissions, voire de rétro commissions.
On commence à y voir plus clair sur les raisons qui expliquent qu’en près de 60 ans d’indépendance pour de nombreux pays africains, la contribution de la Banque Mondiale reste encore marginale au regard des nombreux défis à relever en matière de lutte contre la pauvreté, d’endettement publique et de croissance soutenue. Pouvait-il en être autrement vu la double conjonction de taux de décaissement très faibles (21% pour la zone Afrique en 2018) liés à des conditions préalables au premier décaissement trop rigides, et de fuite de capitaux. La question est de savoir pourquoi la Banque mondiale a attendu tout ce temps avant de constater qu’une partie de ses propres concours alimentait les paradis fiscaux.
Cet aveu de détournement illégal de 7,5% interpelle à plusieurs niveaux. Soit ce type de conclusions a toujours été caché par l’Institution, soit les cabinets extérieurs commis pour le suivi des opérations de la Banque n’étaient pas bien outillés ou bien, en fin de compte, la Banque Mondiale n’est pas à la hauteur concernant le suivi ex post de ses opérations. Il y’a eu sans doute des défaillances dans ses procédures de contrôle et de suivi des opérations et dans celles de passation des marchés. Le rapport devrait normalement aller jusqu’ à situer les responsabilités internes à la Banque pour s’assurer de l’existence de connivences potentielles entre ses équipes techniques et les bénéficiaires illégaux de ces détournements. La Banque mondiale devrait au regard de ce constat alarmant, engageant probablement sa responsabilité, prendre à très court terme l’engagement de récupérer ces deniers perdus, les restituer aux pays concernés voire les déduire de l’encours restant dû par ces derniers. Elle doit aussi dans ce laps de temps accepter qu’un audit indépendant (sous la supervision de l’Assemblée Générale et non du Conseil d’Administration) soit diligenté afin de cerner l’étendue des dégâts et situer la responsabilité de ses propres agents. Le même audit devrait aussi être diligenté dans toutes les institutions internationales de financement du développement comme la BAD en Afrique. Elle doit aussi engager le chantier important de la révision de ses procédures notamment celles de passation de marchés et de décaissement pour mieux encadrer à l’avenir les marchés de gré à gré (ou ententes directes) et les offres spontanées. Elle devrait aussi pour lutter contre les surfacturations, instituer des prix de références actualisées périodiquement, dans ses procédures d’appels d’offre restreints et ouverts. Sans oublier de limiter les décaissements sous formes de caisse d’avance.
La Banque Mondiale gagnerait enfin à renforcer ses actions de supervision de ses projets en cours d’exécution afin de s’’assurer de la bonne performance de ceux-ci conformément aux cahiers des charges. Au plan international, le Fmi, en sa qualité de garant du système financier international, devrait aussi participer à la recherche de solutions en appelant les Etats à plus de responsabilité, notamment dans le contrôle des flux financiers en partance pour les paradis fiscaux. La Banque Mondiale est-elle vraiment prête à contribuer au développement des pays Africains ?
Un commentaire
Voilà un dilemme qui risque de perduré. Doit on suivre l’exécution des projets financés sous forme de dette aux pays Africains ou faut il respecté l’indépendance des pays Africains qui s’endettent auprès de la banque mondiale ?